Naruto et Naruto Shippuuden • CaptaiNaruto

Naruto • Une brève histoire du manga (partie 1) :: CaptaiNaruto

Emaki et folklore populaire

Il est difficile de donner une date précise à l’apparition du manga au sein de la société japonaise. Si les œuvres à fort tirage, telles que nous les trouvons dans des librairies spécialisées, appartiennent à un genre artistique que l’on peut qualifier de relativement récent, certains critiques voient en l’emaki un lointain ancêtre de la bande dessinée japonaise actuelle, car partageant avec elle un certain nombre de points communs : texte narratif continu, délimitation de cases, et lignes de mouvement. Il s’agit d’un rouleau calligraphié, mesurant entre vingt et trente centimètres de hauteur, mais atteignant dans certains cas une dizaine de mètres de largeur !

Jusqu’alors, on a pu recenser six cents rouleaux peints. Le plus ancien est l’Eingakyô, un long manuscrit du VIIIème siècle de notre ère, relatant la vie de Bouddha. Mais c’est au XIIème siècle qu’est rédigé, vraisemblablement par plusieurs moines de l’époque, un des emaki les plus célèbres de l’histoire artistique du Japon, et connaissant encore aujourd’hui un certain succès auprès des passionnés (preuve en est que l’œuvre en question a plusieurs fois été rééditée et publiée) : il s’agit là du Chûjô-Giga, en français le Rouleau des Animaux. Tout comme La Fontaine dans ses Fables se plaisait de temps à autre de caricaturer la société de son époque, les auteurs du Chûjô-Giga croquent volontiers nobles et guerriers sous la forme de grenouilles et de singes, non sans humour.

Outre leurs thématiques religieuses et sociales, les emakis empruntent également beaucoup à la culture populaire japonaise. Bien au-delà des clichés couramment répandus sur le Japon féodal, sur la prestance des samouraïs et les superbes arrangements de fleurs, on trouve ça et là des fables relatées sur un ton tout à fait burlesque.

On se souvient de la qualification on ne peut plus excentrique de Naruto pour la phase finale de l’examen de sélection des ninjas de moyenne classe, acquise sur un mémorable pet. Ces blagues potaches ne sont pas rares dans les emakis et dans la culture japonaise dans son ensemble. En effet, un rouleau peint du XVème siècle, Fukutomi Zôshi, raconte l’histoire d’un vieillard capable de produire toutes sortes de sons mélodieux en flatulant, un cadeau des dieux provoquant la joie de son seigneur…

Un example d'emaki : une illustration tirée du
 

Plus proche du manga actuel : l’ehon

Une estampe extraite des Les emaki restèrent à la mode jusqu’au milieu de l’ère Edo. Cette époque de l’histoire japonaise débute en 1603 avec la fermeture des frontières par le shogun Tokugawa, ceci afin de clore deux siècles d’anarchie et d’une situation ressemblant à une guerre civile, et se clôt en 1867 avec la restauration du pouvoir impérial par Mitsuhito. C’est au cours de cette période que l’on vit se développer au sein de la société japonaise d’alors le théâtre kabuki et son pendant graphique : les estampes. L'un de ses représentants les plus célèbres est le peintre Hokusai, connu pour ses Trente-six vues du Mont Fuji dont est extraite la fameuse Grande vague de Kanagawa. Hiroshige fut également, en son temps, considéré comme le rival de Hokusai pour ses Cinquante-Trois stations du Tôkaido, même si celles-ci sont peut-être un peu moins connues de nos jours que celles de l'autre grand maître. Les estampes de Hiroshige sont néanmoins les premières à avoir été introduites dans le monde occidental.

C'est en tout cas à la même période que l'on vit apparaître les ehon. Principalement réalisées par des auteurs d'estampes, et plus proches dans les codes utilisés de notre manga actuel – on retrouve dans les ehon des semblants de phylactères (le nom savant des "bulles"), des ambiances suggérées par la disposition du texte, et de même des éléments sortant du cadre – les ehon connaissent le succès : pendant les cinquante dernières années de l’ère Edo (c'est-à-dire à partir des années 1820), on publiera 3 000 histoires différentes avec un tirage atteignant, pour les plus grands succès de l’époque, dix mille exemplaires ! Par la suite, ce succès s'accrut sous l'ère Meiji et est partiellement du à une décision de 1872 rendant l'école élémentaire obligatoire, laquelle a eu pour conséquence de sortir une partie de population de l'analphabétisme.

Bien différents des emaki par leur forme, les ehon sont des livres reliés traitant de thèmes aussi variés que le merveilleux, la guerre, la politique ou encore l’amour ou l'érotisme. En fonction des thèmes développés par l’auteur, un ehon se dotait d’une couverture rouge pour les histoires ayant attrait à la féérie, noire pour les exploits guerriers, et jaune pour les histoires visant un public plus adulte. Certaines franges de la population (ne serait-ce que les femmes au foyer) n'ayant pas forcément les moyens d'acheter des livres, des bibliothèques permettant le prêt des ouvrages apparurent spontanément dans nombre de villes japonaises.

Mais les ehon ne vont pas tarder à s’effacer – quoique relativement, de nouveaux ehon seront publiés après la Seconde Guerre Mondiale – suite à un des événements fondateurs du Japon moderne. Rompant avec deux siècles et demi d’une politique isolationniste décrétée par les premiers shoguns Tokugawa, une flotte américaine de bateaux à vapeur entre en force dans le port d’Uraga en juillet 1853, afin d’établir des relations commerciales entre le Nouveau Monde et le Pays du Soleil Levant. Si le partenariat est rapidement conclu, une nouvelle période de troubles amène la fin de l’ère Edo en 1867 et l’émergence de l’ère Meiji, qui durera jusqu’en 1912 et connaîtra l’industrialisation rapide du Japon, avec toutes les conséquences sociales qui s’ensuivront, y compris sur l'art et la bande dessinée, comme nous allons le voir.

Double page tirée d'un ehon. Remarquer les éléments de texte à divers endroits de l'image.

 

Liens externes

Pour le plaisir des yeux des uns, et pour satisfaire la culture des autres, vous pouvez ci-dessous retrouver quelques liens développant plus longuement sur les personnages et techniques citées dans cet article :

  • Article sur Hokusai, Bibliothèque Nationale de France.
  • Article sur Hiroshige, Bibliothèque Nationale de France.
  • Gros plan sur un exemple d'emaki : le Rouleau des enfers, Musée National de Tokyo (la page est en français). D'autres emakis sont présentés sur cette page.
  • Article présentant plus longuement les ehon (la page est en anglais).

 

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Mikazuki