Revenant sur les raisons derrière la création de l’Akatsuki,  M. Kishimoto déclare : « L’Akatsuki est un groupe d’anti-héros […] [m]ais je ne voulais pas en faire de simples méchants, parce que je pensais qu’il y avait différentes raisons pour expliquer pourquoi ils sont devenus des hors-la-loi qui s’opposent à la société. » (Source : ici)

Aux yeux de l’auteur ces méchants* ont quelque chose en plus. S’ils ne sont pas identiques et diffèrent par de nombreux traits un élément interpelle au fil des pages : les méchants le sont-ils vraiment ?

Un exemple marquant est fourni par Itachi : participant actif au massacre du clan Uchiha, sa mort apparaît comme la victoire de la justice. Pourtant, la suite nous montre qu’Itachi désirait la paix, qu’il demeurait un ninja de Konoha… qu’il n’avait rien à voir avec un méchant classique.

Cette chronique prend alors au pied de la lettre le propos de M. Kishimoto pour explorer (brièvement) la galaxie des méchants de Naruto.


1. Comment devient-on un méchant ?

S’il ne fournit pas un historique détaillé de tous les méchants, M. Kishimto insiste sur certains d’entre eux, l’occasion de découvrir leur histoire, qu’ils en parlent eux-mêmes, ou que d’autres l’évoquent. Orochimaru, Obito, Kisame, Madara, Kabuto, Pain, Itachi, Kaguya… pour n’en citer que quelques-uns entrent dans ce cadre. Cette pluralité – relative – permet de mettre en évidence certains traits communs :

  • Aucun n’est méchant dès le départ ;
  • Souvent une situation de guerre, de conflits passés, présents ou à venir ;
  • La perte de personnes proches (parents, amis…) ;
  •  Une forme d’isolement ;
  • L’obéissance à une mission imposée où qu’ils se sont fixés ;

Ces éléments se conjuguent alors pour infliger de la peine, de la colère… aux individus concernés qui, dès lors, entament une carrière de méchant.

A ce stade un point doit être souligné. Il n’y a pas automatiquement accord entre les individus pour désigner qui sont les méchants. Pensons à la réaction de Sasuke (chapitre 581) quand il entend les propos que tiennent des ninjas de Konoha à propos de son frère. Selon les informations possédées, un individu sera identifié différemment.


2. Méchant un jour, méchant toujours ?

Si l’unanimité n’est pas toujours atteinte lorsqu’il s’agit de désigner qui est ou non un méchant, ce dernier n’est pas forcé de connaître un parcours linéaire. De plus, être méchant à l’instant t n’implique pas de l’être en t-1 comme en t+1. Dit autrement, les méchants ne sont pas condamnés à le rester.

La reconversion n’est toutefois pas gratuite, et le prix à payer loin d’être anodin. Au-delà des paroles, des actes sont nécessaires. Deux cas emblématiques sont fournis par Nagato et Obito (le cas plus classique de Hanzô contre Mifune ne sera pas évoqué).   

Pour se racheter aux yeux des autres et aux leurs ils vont risquer leur vie : Nagato meurt en ressuscitant les ninjas de Konoha décédés suite à son attaque ; Obito cherchera lui aussi à ressusciter des personnes mortes avant d’aider Naruto et ses amis et d’être (mortellement ?) blessé. Ce n’est donc pas le privilège du Hokage de mettre sa vie en jeu si le village est en danger mais de tout ninja cherchant à racheter ses fautes. Le coût de la rédemption, pour significatif qu’il soit permet alors au ninja de partir l’esprit libéré, de rétablir l’honneur perdu.


3. Quelle(s) différence(s) entre gentil et méchant ?

Parler des méchants revient à considérer qu’il existe des gentils. La distinction est pourtant moins évidente qu’il n’y paraît. Car les ninjas doivent exécuter des missions, parfois des assassinats. Distinguer les bons ninjas des mauvais serait alors aussi simple que de différencier le bon chasseur du mauvais.

Sur ce thème, les tomes 53 et 54 fournissent deux éléments complémentaires et centraux pour cette chronique. Dans le premier, Naruto se frotte au « Naruto obscur ». A la régulière il ne parvient pas à l’emporter et Naruto, plutôt que de rejeter cette part de lui, gagne en l’acceptant. Il s’agit ainsi pour chacun de ne pas refouler sa part d’ombre mais de lui faire une place.

Dans le second, nous assistons à un échange entre Itachi et Kisame. Etant donné leur passif respectif, Kisame annonce qu'ils devraient être perçus comme de la « vermine ». Itachi déclare que ce n’est pas le cas. « […] même les pires d’entre nous ne doivent pas être jugés avant la fin. Parce que c’est au moment de rendre son dernier souffle qu’un homme comprend ce qu’il était réellement. » Un propos repris par Gaï quelques pages plus loin. Il faut donc attendre la fin pour faire une évaluation correcte – un élément qui n’est pas sans évoquer certains écrits d’Aristote.

Ces deux points soulignent que personne n’est pur, parfait mais aussi que fauter ne nous condamne pas à être une vermine pour toujours.  


*


Loin d’un relativisme total ou d’un manichéisme tranché Naruto nous permet de voir comment se fabriquent des méchants et que ce processus n’a rien d’irréversible. Le pardon est possible, même s’il a un coût. En modifiant un propos célèbre de Simone de Beauvoir on peut ainsi dire qu’on ne naît pas méchant, on le devient. Et on le devient parce qu’on le veut et que le contexte nous y incline.

L’opposition gentil/méchant, bien/mal gagne ainsi à être envisagé sous un autre angle et à lui préférer une réflexion en termes de voie : chacun suit sa voie du ninja (nindô). Certaines sont plus ou moins légitimes, valorisées… l’important est ailleurs : que chacun, en suivant sa voie, devienne ce qu’il veut être.

Enfin, rappelons que reconstituer le parcours d’un méchant, comprendre ses motivations n’implique en aucune façon d’approuver ses actes. Comprendre comment Madara a évolué suite à la mort d’Izuna ne revient pas à approuver ce qu’il a fait. Naruto le montre d’ailleurs avec Konan et Nagato (chapitre 447) : s’il ne souhaite pas les tuer, qu’il les comprend, il n’a pourtant aucune envie de pardonner. Un propos qui illustre de manière limpide le propos de Max Weber :

« Non seulement ‘tout comprendre’ ne signifie pas ‘tout pardonner’, mais en général la simple compréhension de la position de l’autre ne nous conduit pas d’elle-même à l’approuver. Au contraire elle nous amène pour le moins tout aussi bien, et souvent avec beaucoup plus de probabilité, à reconnaître que l’on ne peut pas tomber d’accord avec lui, pourquoi et sur quel point on ne le peut. »


* Par méchant, on entendra tout individu qui désire provoquer ou provoque, de manière plus ou moins répétée, la souffrance physique ou morale d'autrui.