Seems like everybody's got a price
I wonder how they sleep at night
When the sale comes first
And the truth comes second*
(Jessie J et B.o.B, « Price Tag »)


Le thème de la « marchandisation du monde » a nourri bien des craintes (Polanyi, 1983**) et continue d’en susciter – notamment en ce qui concerne les transplantations d’organes (Steiner, 2009) – quand bien même ce mouvement n’aboutit pas nécessairement à des relations marchandes désincarnées : ces dernières sont socialement construites et abritent une importante dimension culturelle (voir les travaux de Zelizer). On peut également ajouter que le fonctionnement d’un marché suppose la création d’un intérêt matériel, distinct des passions insatiables (Steiner et Trespeuch, 2013). Ces différents éléments vont se retrouver à travers une brève analyse du « marché des missions » et d’un cas de tromperie sur la « marchandise ».

Comme le mentionnait Marx (1867) les échanges ont lieu entre équivalents. Si tel n’était pas le cas (escroquerie, extorsion…) alors ils ne perdureraient pas. Pourtant, l’information disponible n’est pas forcément équitablement répartie entre les différents intervenants avec, par exemple, l’existence d’asymétries d’informations entre offreurs et demandeurs (Akerlof, 1970). La tentation peut alors être grande de dissimuler certaines informations afin de tirer profit de la situation (et acheter moins cher, vendre plus cher). La première mission de l’équipe sept (Kakashi, Sakura, Sasuke et Naruto) illustre cette situation.


Au départ la mission d’escorte de Tazuna est de rang C mais Kakashi réalise rapidement (suite aux assauts dont ils sont victimes) que la mission est d’un rang plus élevé (B voire davantage). Tazuna avoue qu’il a menti et sous-estimé volontairement le danger encouru. Le mensonge sur cet aspect essentiel dans la classification de la mission par Konoha lui permet d’acquitter un tarif plus bas – il n’avait pas les moyens de payer le « vrai » prix de sa mission.

Le Pays du Feu a besoin de ses missions qui sont une source de revenus majeure pour son budget. Il offre donc ses ninjas pour répondre aux demandes qu’il reçoit. Mais il ne peut pas vérifier à l’avance si le contenu des missions correspond exactement aux informations que les demandeurs fournissent. Ce n’est qu’au cours de la mission que son rang peut être effectivement déterminé. Ainsi Tazuna a pu « arnaquer » Konoha (il a sous-payé le « bien » qui lui est offert) mais cette décision était pour le moins risquée.

D’une part parce qu’en minimisant les risques de la mission Tazuna prenait le risque de se voir affecté une équipe peu qualifiée, qui aurait pu se retrouver incapable de mener à bien la tâche confiée (il aurait pu perdre la vie). D’autre part parce qu’en réalisant l’entourloupe de Tazuna, la mission aurait pu être annulée (Kakashi en parle mais Naruto refuse d’abandonner en cours de route), voire le charpentier aurait pu être sévèrement sanctionné pour son attitude.

La question qu’on peut alors se poser concerne la fréquence de ces arnaques : est-ce que le système tel qu’il fonctionne favorise de tels comportements ? Ou bien des mécanismes sont à l’œuvre pour les limiter ?

A première vue, la deuxième question semble recevoir une réponse positive et le cas de Tazuna semble être une exception. Déjà parce que le paiement de la mission n’a lieu qu’à la fin : si jamais le degré de difficulté de la mission a été sous-évaluée alors il est tout à fait possible que le prix à acquitter soit réévalué (on ne voit toutefois pas Tazuna acquitter le paiement de la mission à la fin de l’histoire). Une première garantie contre l’arnaque semble donc être en place.

De plus, si de tels comportements étaient fréquents, alors le Pays du Feu pourrait décider d’augmenter ses tarifs. En clair ce qui peut être économisé par un individu pour une mission peut être rapidement perdu si ces arnaques se reproduisent : l’échange étant inégal, le Pays du Feu peut réagir en haussant ses tarifs… pénalisant ainsi les individus honnêtes qui ne tentaient pas de sous-payer les ninjas. Mais avec la concurrence entre les nations, une hausse isolée pourrait aboutir à un détournement des missions vers les autres nations (lorsque cela est possible), ce qui limite cette menace.

On peut toutefois supposer que le fait que les missions engendrent des interactions répétées entre les ninjas et le(s) client(s) tend à limiter la portée de ces arnaques : d’abord parce que le client peut être puni, sa réputation peut être affectée et ainsi il ne trouvera plus de villages pour accepter les missions qu’il propose ; ensuite parce que de telles entourloupes détruiraient à terme l’intérêt de faire des missions qui coûteraient plus que ce qu’elles ne rapportent aux nations concernées. Les missions semblant toujours se dérouler, on peut en déduire que les nations comme leurs clients ont intérêt à ce qui ce système perdure. Les normes, le cadre institutionnel fonctionnent de telle façon que le cas de Tazuna reste isolé et que différents mécanismes empêchent la diffusion et la multiplication de telles situations.

Mentionnons, enfin, que Tazuna viendra, en compagnie d’Inari et d’autres professionnels du Pays des Vagues, rebâtir Konoha après l’attaque de Pain. Voulait-il se racheter de son entourloupe au début du manga ? L’histoire ne dit pas s’il a travaillé gratuitement ou s’il a sur ou sous-évalué la facture que le village caché a dû acquitter…
 


* On dirait que tout le monde a un prix / Je me demande comment ils peuvent dormir la nuit / Quand le prix vient d'abord / Et la vérité/réalité après


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