Je sens comme aux vertèbres
                                          S'éployer des ténèbres
                                          Toutes dans un frisson
                                          À l'unisson

Le Salut.

1. Dans deux semaines, je publierai ma dixième Chronique. J’en profiterai pour faire un bilan, en tentant notamment de répondre à certains de vos commentaires. A cette occasion, une page spéciale sera dédiée à la Chronique, mise en place par Adrien dans la catégorie « Site ».

En attendant, j’aimerais revenir sur la question de la répétition, évoquée il y a quinze jours. Je n’étais pas complètement satisfait de mon texte. Deux posts m’ont donné envie de préciser et de développer certains points. Pour mémoire, dans ma dernière chronique, je remarquais l’importance du motif de la spirale dans Naruto que je rapportais à certaines répétitions parfois pesantes de l’histoire. Je comparais pour finir tout cela à l’Eternel retour de Nietzsche.

2. Il s’agit tout d’abord du commentaire de Zeruel Angel, évoquant la différence entre le cercle et la spirale. Zeruel estime que mon article contient une grosse erreur (une « éraflure profonde ») : selon lui, en « associant spirale et répétition », je ne vois pas que la première n’est pas « le symbole approprié pour l’éternel retour de Nietzsche ». Car, nous dit-il, « l’idée de l’Eternel retour ne supporte pas la variation ». Or, « la spirale est un symbole géométrique particulier ; c’est une ligne et une fractale. En cela, elle peut se poursuivre sans fin dans les deux directions (le passé et le futur) et cela sans jamais se répéter. Elle est l’opposé du cercle [car] elle évolue. ». L’idée de Nietzsche d’une « aliénation à la répétition confine à ce qui a toujours été perçu par l’homme comme un enfer : l’éternel retour, c’est un cauchemar sans fin ». Le cercle donc conviendrait mieux. Il poursuit : « Dans Naruto, on retrouve une structure narrative proche de la musique. Les répétitions sont les unités de base du récit comme les leitmotivs en musique. Mais ce qui fait l’histoire, ce sont les variations. Si je devais choisir un film, je dirais que Naruto se rapproche de Groundhog Day d’Harold Ramis (Le Jour de la marmotte en France [En fait, le titre français est Un jour sans fin]). »

3. Je n’ai, en fait, qu’une remarque à faire à ces objections informées et précises qui me semblent globalement justes : l’Eternel retour chez Nietzsche n’a pas exactement le sens d’un « cauchemar sans fin ». Au contraire, il s’agit pour lui d’en tirer un enseignement positif : si tout devait recommencer à l’identique et à l’infini, ne devrions-nous pas reconsidérer nos valeurs les plus courantes et, pour Nietzsche, les plus factices ? En apprenant par l’intermédiaire d’un démon nocturne que nous sommes prisonniers de l’Eternel retour, notre première réaction serait, à coup sûr, de le maudire et de « nous jeter au sol, en grinçant des dents » ; mais, par la suite, le philosophe estime que nous pourrions tout aussi bien avoir vécu là « un instant formidable » ; il lui semble tout à fait concevable de remercier le démon et de s’exclamer : «  Tu es un Dieu et jamais je n’entendis choses plus divines ! ».

Pour Naruto et ce que j’essayais de mettre à jour, cette nuance a son importance. Si le cercle peut être l’image d’une « chose divine », n’est-ce pas la spirale qui devient l’image d’un « cauchemar sans fin » ? Vous savez qu’une certaine représentation de la puissance m’intéresse (et m’inquiète en vérité) dans Naruto. Or, la spirale est une sorte de compromis épuisant entre la répétition et l’accroissement. Ça répète mais en prenant plus d’ampleur. Voilà exactement la structure de certains mangas (Dragon Ball, Bleach), structure à laquelle Naruto n’échappe pas complètement. On peut par ailleurs se demander si ce n’est pas l’augmentation continue de puissance qui empêche de voir qu’on répète. La spirale serait simplement la figure de l’aveuglement (pour les personnages mais pour nous aussi qui, dans Naruto, fantasmons leur puissance : on a l’impression que ça avance alors que c’est seulement la même chose en plus fort). De ce point de vue, la petite scène de Sakura lisant le livre de Sai a, pour moi, quelque chose d’apaisant ; c’est un moment « divin ».

4. Le deuxième post que je voudrais évoquer a été écrit par Erelde. Il nous donne une explication valable de l’importance de la figure de spirale dans l’œuvre de Kishimoto en la rapportant à la culture asiatique dans son ensemble. Il répond au commentaire d’un autre internaute :

   Pense qu’au Japon les deux cultures dominantes sont le bouddhisme et
   le shintoïsme. Le shintoïsme étant dominant, je pense que l'auteur a été
   élevé dans l'idée d'un éternel retour, autrement dit le temps est une
   roue qui tourne. Certains considèrent que c'est une roue qui tourne
   mais que l'on peut changer d'ornière (eh oui ^^). Voila pourquoi, à
   mon avis, l'auteur inclut dans son manga cette idée du temps cyclique.
   Je signalerai aussi qu'avant que l'homme ne se mette à mesurer et à
   fragmenter le temps, tous le considéraient ainsi.

Cette remarque est d’autant plus pertinente que Nietzsche lui-même a été très influencé par les religions orientales, le bouddhisme notamment. Mais le plus intéressant n’est pas là. Je disais : « la spirale, compromis entre la répétition et l’accroissement ». Si, comme nous l’indique Erelde, la répétition a ses racines dans la culture de l’auteur, ne peut-on faire l’hypothèse que l’accroissement est l’apport strictement européen ou américain du manga ? D’un côté, l’immobilité circulaire des cultes orientaux ; de l’autre, le progrès du culte capitaliste occidental. A leur intersection : Naruto Uzumaki. Une spirale.

Le Vieux

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Pour les liens (spirale, texte du moustachu), voir chronique précédente.