Le soleil que sa halte
                                               Surnaturelle exalte
                                               Aussitôt redescend
                                               Incandescent

Le Salut.

1. Certains combats dans Naruto paraissent ne jamais finir. La longueur, pages ou minutes, n’a pas grand-chose à voir avec cette impression. Ce qui les rend interminables, ce sont leurs voltes-faces : ils n’en finissent pas de recommencer. Dès qu’un personnage paraît avoir le dessus, nous découvrons qu’il s’agit en fait d’une feinte qui, elle-même, est l’occasion d’une autre feinte et ainsi de suite ; ce qui détermine l’issue des duels est plus sûrement l’épuisement du mécanisme que la force ou l’astuce des combattants.

J’exagère ? La spirale vaut à la fois pour symbole du village de Konoha et comme nom du héros, Uzumaki. La spirale : une manière d’avancer et de tourner en rond en même temps. La spirale, symbole omniprésent de Naruto, trahit la structure profonde du manga : on progresse mais en répétant. Les combats sont en spirale mais également la succession des générations, les chorégraphies amoureuses, les ramens.

2. La répétition a tout de même certains charmes. Ils apparaissent assez clairement dans le cadre de nos plaisirs. Comment résister à la possibilité de leur retour ? Accessoirement (ou non), la répétition nous protège, pour un instant, de l’angoisse du temps et du néant. Pour les petites choses, un manga, un morceau de musique, une cigarette, cela marche parfois. Pour les plus grandes…

Certains d’entre vous ont peut-être vu le film de François Truffaut, La Femme d’à côté. Il raconte l’histoire de Bernard (G. Depardieu) et de Mathilde (F. Ardant), deux anciens amants qui se retrouvent et tentent de faire revivre leur amour passé. Ils se disent que le temps qui s’est écoulé depuis leur séparation les protégera contre les excès passionnels qui avaient consumé leur première relation : ils ont vieilli, ils sont plus sages, nous disent-ils. Bernard et Mathilde espèrent que leur histoire amoureuse peut être une spirale, qu’elle peut à la fois se répéter et s’améliorer. Naturellement, cela finira mal.

3. La force tragique de La Femme d’à côté tient entièrement dans la répétition ; la mort seule peut interrompre la mécanique répétitive. A certains moments, Bernard et Mathilde prennent conscience, malgré eux, qu’ils sont prisonniers d’un temps qui n’arrive pas à avancer. Mathilde surprend une conversation qui raconte une histoire qui ressemble à la sienne, Bernard voit un film qui évoque le retour d’un mort. Ils sont alors bouleversés par cette révélation : Mathilde s’évanouit, Bernard a le regard qui chavire.

Nous serions, nous aussi, terriblement bouleversés d’apprendre que notre vie n’est que la répétition d’un même moment, d’une même histoire. Nietzsche a poussé à son terme cette hypothèse et lui a donné un nom : l’éternel retour. Cette hypothèse a d’abord une valeur de stupéfaction. Elle pousse à s’exclamer comme le romancier Milan Kundera, « Quelle atroce idée ! » Car, poursuit-il, «dans le monde de l’éternel retour, chaque geste porte le poids d’une insoutenable responsabilité ». L’éternel retour serait, en effet, das schwerste Gewicht, « le plus lourd fardeau ».

4. C’est une toute petite scène, le temps d’une case à peine. Sakura trouve un livre dans le sac de Sai. Elle l’ouvre et, tout à coup, le temps s’arrête. Que vient-elle de découvrir ? Rien sinon l’histoire de Sai et de son frère qui lui ressemble étrangement, la vie symétrique de deux êtres identiques. Ce sont les dessins d’une répétition. C’est un manga. Sakura lit sa propre histoire. Comme Bernard et Mathilde, elle vient de faire l’expérience de l’éternel retour. Elle est bouleversée.

Les autres personnages n’ont pas ce type d’inquiétude bien qu’ils rejouent maintes et maintes fois le même événement. A aucun moment, Naruto et Sasuke ne s’étonnent de reproduire le conflit entre Orochimaru et Jiraiya, ou celui qui a opposé Shodaime et Madara. Nulle émotion, nul éblouissement quand ils se battent bien que pour nous, certains combats aient très distinctement quelque chose du schwerste Gewicht, le plus lourd fardeau.  

Le Vieux
Le no sms



En attendant Yun (qui rêvasse), dessin issu de scantrad NCT (t. 34). Pour discuter de la chronique (commentaires, critiques, précisions, suggestions etc...) :  Aller sur le forum

Où l'on croit avoir compris que la nuance du cercle à la spirale était la variation angulaire de r mais les matheux me corrigeront :
=> en ligne droite
Où la spirale est une "forme de pensée de la création artitistique" (article important et pointu de M. et T. Zimmermann) :
=> tournicoti-tournicota
Où Kundera, derechef, écrit ce qui précède :
L'Insoutenable légèreté de l'être, Paris, Gallimard, 1984, p. 14.
Où l'on lira Nietzche, tout simplement :
"Que dirais-tu si un jour, si une nuit, un démon se glissait jusque dans ta solitude la plus reculée et te dise : « Cette vie, telle que tu la vis maintenant et que tu l'as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d'innombrables fois ; et il n'y aura rien de nouveau en elle si ce n'est que chaque douleur et chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement, et tout ce qu'il y a d'indiciblement petit et grand dans ta vie, devront revenir pour toi et le tout dans le même ordre et la même succession - cette araignée-là également, et ce clair de lune entre les arbres, et cet instant-ci et moi-même. L'éternel sablier de l'existence ne cesse d'être renversé à nouveau - et toi avec lui ô grain de poussière de la poussière ! »
Ne te jetterais-tu pas sur le sol, grinçant des dents et maudissant le démon qui te parlerait de la sorte ? Ou bien te serait-il arrivé de vivre un instant formidable où tu aurais pu lui répondre : « Tu es un Dieu et jamais je n'entendis choses plus divines ! » Si cette pensée exerçait sur toi son empire, elle te transformerait, faisant de toi, tel que tu es, un autre, te broyant peut-être : la question posée à propos de tout et de chaque chose : « Voudrais-tu ceci encore une fois et d'innombrables fois ? » pèserait comme le poids le plus lourd sur ton agir ! Ou bien ne te faudrait-il pas témoigner de bienveillance envers toi-même, et la vie, pour ne désirer plus rien que cette dernière, éternelle confirmation, cette dernière éternelle sanction ?"(Le Gai Savoir, livre IV, § 341)
Où l'on le commente, encore et encore :
=> ici ou