Dans la chronique précédente, un éclairage avait été apporté sur le « marché des missions ». A travers l’exemple de Tazuna, le côté demande avait pu être illustré (risque d’asymétries d’information, rôle des normes, etc.).

C'est le côté offre qui va être privilégié cette fois-ci.  Pour ce faire, nous allons utiliser les propos de Pain, dans le chapitre 329 – chapitre qui clôture le tome 36. Un très bref rappel pour vous rafraîchir la mémoire : suite à des plaintes d’Hidan, Pain entreprend de lui expliquer les buts de l’Akatsuki, l’objectif véritable de l’organisation. Trois phases sont présentées : récolter de l’argent ; créer la première organisation de mercenaires au monde ; contrôler le monde.

La chronique va principalement traiter du passage de la phase deux à la phase trois. Pain évoque la captation du marché des missions par l’Akatsuki d’une certaine manière. Il n’est pas question pour l’organisation d’acquérir le monopole par la guerre directe (Pain ne parle pas d’entrer en conflit avec les grandes nations) mais, indirectement, par la concurrence. Après avoir formé son entreprise, le dirigeant d’Ame énonce que l’Akatsuki effectuera toutes les missions disponibles (quand ils ne déclencheront pas eux-mêmes des conflits grâce aux Bijûs, afin d’alimenter la demande), même pour « une bouchée de pain ». En somme la guerre des prix va faire rage, permettant à l’Akastuki de faire main basse sur le marché. Les villages ninjas n’y survivront pas (ils feront faillite) et le système tombera, permettant ainsi aux manteaux noirs et rouges de contrôler le monde.

Une telle présentation n’a rien de nouveau. Pain n’est pas un innovateur en la matière. On peut retrouver de telles idées dans la littérature. Un bon exemple  est fourni par l’ouvrage d’Emile Zola, Au Bonheur des Dames (1883). Parmi tous les thèmes qu'il aborde, ce roman donne à voir l’organisation de la concurrence et la guerre des prix que se livrent, notamment, Mouret et Robineau ainsi que les effets funestes de cette concurrence sur les vaincus.  

Egalement au XIXème siècle, Joseph Bertrand s’intéresse au duopole et propose une analyse qui va nous permettre de mieux comprendre la stratégie de l’Akatsuki.

Supposons que l’Akatsuki soit confrontée à un concurrent pour effectuer des missions moyennant rémunérations (les grandes nations). Supposons aussi que les missions à effectuer peuvent être réduites à une mission représentative, de sorte qu’un seul bien est fourni et demandé sur le marché des missions. On est alors en situation de duopole avec les deux « entreprises » qui se livrent une concurrence par les prix. Soit p*1 le prix fixé par les nations et p*2 le prix fixé par l’Akatsuki pour effectuer une mission. En acceptant les hypothèses de Bertrand (le coût moyen est constant, les fonctions de coût des entreprises sont identiques, elles produisent un bien homogène, peuvent toujours satisfaire la demande, etc.) le résultat est qu’il n’y a pas de concertation entre les deux concurrentes et, qu’à l’équilibre, le prix se fixe au coût marginal (p*1 = p*2 = c) ! Autrement dit même s’il n’y a que deux entreprises sur le marché, pour répondre aux demandes de mission, le prix fixé ne leur garantit aucun « profit ». Les « consommateurs » (les pays ou personnes prêt à payer pour qu’une mission soit réalisée) sont donc les grands gagnants de cette histoire.

Mais un tel équilibre implique que la demande se répartisse équitablement entre les deux « entreprises ». L’Akatsuki et les grandes nations se partageraient donc le marché. Si une telle situation ne serait pas forcément plaisante pour les grandes nations, ce résultat rentre en contradiction avec le propos de Pain : l’Akatsuki veut faire main basse sur le marché. Un équilibre où elle doit se partager la demande avec les autres nations n’est pas un bon résultat !

Il faut alors intégrer l’idée de la « bouchée de pain » à l’analyse pour retrouver le résultat voulu par Pain. Cette idée peut se formaliser de deux façons :

  • Soit on suppose que les fonctions de coût sont différentes, impliquant des coûts marginaux différents (c*1 > c*2 donc l’Akatsuki a un coût marginal (c*2) plus faible que les grandes nations). Auquel cas l’organisation de Pain peut satisfaire la demande à des coûts plus faibles et va donc fixer un prix p*2 tel que : c*2< p*2 < p*1 = c*1 avec p*2 = p*1 – ε. Elle capte alors tout le marché et fait un profit égal à (p*2 – c*2) x Demande (soit le nombre de missions).

 

  • Soit l’Akastuki a la même fonction de coût que les grandes nations mais elle accepte de faire des profits négatifs. Elle fixe alors  un prix inférieur au coût marginal de sorte que l’on a p*2< p*1 = c. Ici aussi l’organisation va capter tout le marché et fera une perte égale à (c – p*2) x Demande. Faire des pertes menace son existence (d’où le fait que les grandes nations ne la suivent pas dans la fixation d’un tel prix) mais grâce à la première phase de son plan, l’Akatsuki dispose de fonds importants, qui lui permettent d’absorber de telles pertes.

Dans les deux cas le marché est capté par l’Akatsuki, conformément à la vision de Pain. D'ailleurs cette démarche semblait rencontrer un certain succès étant donné que certaines grandes nations avaient recours à leurs services et que le Tsuchikage lui-même reconnaissait la qualité du travail fourni par l’Akatsuki (cf. chapitre 458). La situation était alors pour le moins étrange : en tant que demandeurs, les grandes nations ayant eu recours aux services de l’Akatsuki économisaient de l’argent mais en tant qu’offreurs elles perdaient des parts de marché et donc des revenus. Ce qui était économisé compensait-il ce qui était perdu ? Il est permis d’en douter et de voir dans un tel comportement une situation où les grandes nations se tiraient une balle dans le pied : les gains de court terme seraient annulés par des pertes à moyen/long termes. En somme un tel équilibre ne pouvait pas durer et on risquait d’arriver à la déchéance du système évoquée par Pain.

Une telle stratégie était assez finement pensée pour faire tomber le système de l’intérieur, en prenant part au jeu et au marché des missions pour mieux imposer ses propres règles.

Finalement cela conduit à se poser (au moins) une question : si, via la concurrence par les prix, l’Akatsuki arrivait à prendre peu à peu le contrôle du marché n’aurait-il pas mieux valu pour elle de ruiner les grandes nations pour ensuite, seulement, mettre la main sur les Bijûs ? Les grandes nations n’auraient sans doute pas accepté de voir leurs parts de marché se réduire au profit de l’Akatsuki donc un conflit semblait inévitable entre eux. Mais en voulant mettre la main sur les Bijûs en premier, l’Akatsuki courrait le risque d’avancer la date de ce conflit a priori inévitable.

On est alors assez proche d’idées développées, notamment, par Jack Hirshleifer (The Darkside of the Force: Economic Foundations of Conflict Theory, 2001) : face au risque de perdre ses parts de marché et donc les revenus et profits associés aux missions, le moyen le plus « économique » de réagir peut être d’empêcher par la violence l’entrée de concurrents ou de prendre leurs richesses... par exemple en leur faisant la guerre. La suite du manga n'a pas démenti cette conclusion.

***

PS : Comme pour les autres chroniques, si vous voulez en parler sur le forum, c'est par ici que ça se passe.