Le genjutsu est un élément puissant du manga. Les illusions les plus puissantes sont enfermées dans les pupilles d’un clan au destin maudit et l’illusion n’a, en aucune façon, sauvé les membres du clan de la mort qui, elle, était bien réelle. Le clan survit néanmoins par l’existence de Sasuke - permise par le grand-frère Itachi qui n'est désormais plus - et d’un Uchiha masqué, Tobi, se faisant appeler Madara. Malgré tout, la malédiction ne s’en est pas allée pour autant et est toujours bien présente. Le destin des Uchiha ne peut que suivre le chemin tout tracé de la malédiction qui l’a autrefois conduit à la mort. Malgré les luttes acharnées, malgré le sang, malgré les alliances, les complots, les trahisons et les mains-tendues, le clan Uchiha n’est pas libre d’un destin maléfique. Kishimoto affectionnerait-il la fatalité ? Serait-il l’ennemi de la liberté que Naruto chérit du plus profond de son être ?

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Il se pourrait bien que Kishimoto n’aime pas Naruto mais surtout l’idéal qu’il incarne et qu’il tente d’imposer au monde Shinobi. Naruto est contre la destinée toute tracée, contre la fatalité imposée par le clan, par l’Histoire. Naruto se veut unique et constructeur d’un monde imprévisible (d’où le joli surnom de Ninja le plus imprévisible). Mais pour atteindre cet objectif de liberté, Kishimoto met le héros (mais pas que) au défi et cela commence très tôt notamment par la rencontre avec Neji et sa philosophie, plus largement partagée avec le clan Hyûga ; la philosophie d’un destin scellé par la marque que nul ne peut changer. Le monde est fermé et personne ne peut rien faire contre cette évidence. Pourtant, Naruto se surpasse et vainc, de son imprévisibilité, le verrou de la cage et laisse l’oiseau sortir, respirer la liberté qu’il n’attendait pas ou plus (un espoir qui n’était qu’illusion, que la réalité à su étouffer). C’est même encore plus jeune que le héros brise un nouveau maillon de la chaîne du destin fermé. Lui qui est un Jinchuuriki et qui ne pouvait avoir aucun ami à cause du destin que se doivent de connaître les Jinchuuriki contemporains comme l’ont connus les précédents hôtes. Mais de nouveau, non seulement par sa force mais par sa liberté, Naruto brise les chaînes. Il prend goût à ce qu’il conçoit être la liberté. Il y prend tellement goût qu’il se croît le libérateur des destins clos, des personnages enfermés dans une voie inévitable. Ainsi, Gaara est libéré par son ami l’imprévisible qui le sort d’une haine enfouie depuis sa naissance causée, à l’instar de Naruto, par des décisions prises avant sa venue au monde.

Mais Naruto n’est pas libre. Naruto est engouffré dans une illusion. Il se trompe. Comment pourrait-il en être autrement ?

1) Son destin a été décidé à sa place par son père.
Le Yondaime avait déjà prévu de jouer avec le destin de son fils. Le Rasengan est une technique que son père a créée spécialement pour pouvoir utiliser le pouvoir du démon renard à neuf-queues, le démon qui l’a plongé dans un monde aux multiples et interminables péripéties. Son père a décidé du sort de son fils en scellant en lui le plus puissant des Bijuus, Kurama. Il a hérité d’un destin lourd façonné par son père pour qu’il crée l’exploit en sauvant le monde ninja des menaces qui pèsent sur lui. Naruto n’a donc pas (encore ?) la liberté qu’il souhaite. Il s’est libéré de la solitude causée par le démon, il s’est fait des amis, il a été reconnu par le village, il a changé la haine incarnée (Nagato) en un idéal d’espoir vers un monde libéré de son destin maléfique. La liberté est le combat absolu dans Naruto. La liberté envers le clan (le clan Uchiha qui nous fait régresser, qui nous plonge dans l’illusion de toute puissance qui, au final, fait régresser au point même de voir le clan, considéré comme l’un des deux plus puissants au sein de Konoha, disparaître en une nuit), envers le village (les questions se font de plus en plus précise avec Sasuke qui s’interroge sur la notion même de village, de clan), envers tous les tracas que rencontrent les personnages de Naruto qui ne sont qu’illusion en comparaison de la liberté.

2) Naruto s’est lui-même emprisonné.
En décidant de sauver Sasuke et de le ramener dans le droit chemin, il s’est non seulement enfermé dans l’une des illusions les plus puissantes du manga en entrant dans le monde de Sasuke, un monde fait de manipulations de la part de son clan, de la part d’Orochimaru et de celle de Tobi ; mais il s’est également emprisonné dans toutes les implications qu’imposent le monde de Sasuke. Sasuke est devenu l’ennemi de l’Alliance, du monde Shinobi. En voulant changer Sasuke, il doit changer le monde. En voulant être libre, il s’est enfermé.

Sasuke est le dernier rempart de Naruto. Au travers de Sasuke, il se bat contre les pressions exercées par le village, par les clans, par les frères, les parents, les partisans de la paix ou, à contrario, du chaos. Naruto, en libérant Sasuke et en lui insufflant la liberté (de croire en ses propres idées et d’avancer par sa propre force de décision) se libère du poids de sa famille et de son village. Sasuke et Naruto ne font en réalité qu’une seule et même personne. La solitude, grandir sans ses parents, connaître la haine, le rejet…bref, tous les aspects négatifs de la vie sont partagés entre les deux meilleurs amis et meilleurs ennemis. Kishimoto fait l’effort en rapprochant Naruto de la liberté en éliminant tous ses obstacles. Il fait l’effort en rapprochant Sasuke de non plus une vérité sélective et partielle, et partiale !, mais la vérité. Sasuke est en route vers le chemin de l’auto-détermination, une branche de la liberté qui lui fait défaut depuis son enfance.

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La liberté sera-t-elle la fin de l’Histoire enchaînée par la fatalité ou cette liberté ne sera-t-elle qu’une nouvelle illusion qui plongera à jamais la liberté comme idéal et la fatalité comme réalité imposée au commun des mortels ? Kishimoto aimera-t-il insuffler la liberté en son manga ou continuera-t-il de ne pas aimer Naruto (et par là, l’idéal de liberté qu’il incarne et qu’il porte depuis tout petit) ? Kishimoto est maître de l’illusion. Nous n’avons à nos côtés que l’espoir. L’espérance qu’un jour Kishimoto aime Naruto et mette un terme à l’illusion, au Tsukuyomi (jusque-là infini mais…), pour laisser place à la liberté.

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