« Un jour je deviendrai un Hokage moi aussi ! Même que je surpasserai tous ceux des générations précédentes !!! Et puis comme ça, tout le village sera bien obligé de reconnaître que c’est moi le plus fort ! »


Dès le premier chapitre et son entretien avec Iruka, Naruto affirme un de ses objectifs centraux : il énonce une demande de reconnaissance i.e. une attente de confirmation de capacités et de valeur par les autres villageois. Cette demande va faire l’objet de plusieurs reformulations. Si sa première déclaration comporte un aspect d’imposition pour autrui (« sera bien obligé de ») et se concentre uniquement sur son niveau (être reconnu comme « le plus fort »), une inflexion se fait dans les suivantes : l’aspect obligation demeure mais il ne s’agit pas tant de reconnaître sa force que sa propre existence (avec Kakashi) voire sa valeur (avec Tazuna). Sa quête acquiert un aspect « vital », sur lequel nous reviendrons en conclusion.

Par la suite, l’aspect imposition se trouve questionné. En réponse à Naruto qui lui annonçait qu’une fois devenu Hokage, il serait « bien obligé de reconnaître [sa] valeur », Tazuna déclare : « Tu rêves minus. Je ne reconnaîtrai rien du tout que tu deviennes Hokage ou pas. » Même si Tazuna révisera sa position par la suite (le nom de Naruto sera donné au pont), l’idée qu’un titre garantit la reconnaissance ne va pas de soi*. Cela explique peut-être que, face à Haku, Naruto fait disparaître l’aspect imposition : il veut devenir le plus grand ninja de son village « [p]our que tout le monde reconnaisse enfin [sa] valeur ! »

On voit ainsi une espèce de tâtonnements dans la recherche de la bonne formulation de sa demande, un apprentissage au fil des interactions. Pour quels résultats ?


Au moins jusqu’au début du manga, Naruto subit davantage des formes de reconnaissance négatives, débouchant sur des blessures morales. Il est ainsi traité de bon-à-rien, sale gosse, démon, raté, renard dégénéré, etc. Il souffre du mépris et de l’aversion des villageois (voire de ninjas) et de leur regard haineux. La trajectoire de Naruto peut alors se lire comme une lutte contre ces manifestations de reconnaissance dépréciative. A grands renforts de pitreries (au départ), d’entraînements et de missions, Naruto tente de rompre avec son isolement et, au-delà, d’être reconnu à la hauteur de ses attentes – nous laissons de côté la question de savoir si elles sont ou non fondées.

Les missions, rencontres et combats de notre héros sont autant de moments où la reconnaissance qu’il cherche peut – au moins en partie – se conquérir. On peut distinguer au moins trois grands types de situations :

  • Les échanges qui aident le héros à se remettre en question voire à s’affirmer : avec Tazuna, Iruka, Itachi...;
  • Des propos qui reconnaissent sa valeur : Tsunade qui reconnaît sa capacité à devenir Hokage ; Kakashi qui déclare que Naruto est le seul à pouvoir dépasser le 4ème ; Jiraya, Minato et Nagato qui placent leur confiance en Naruto… ;
  • Des gestes concrets : lorsqu’Iruka remet son bandeau à Naruto ; quand Tsunade baise le front de Naruto ; la poignée de main avec Gaara ; le fait qu’il soit porté en héros lorsqu’il revient au village après son combat contre Pain, etc.


Ces trois types peuvent se recouvrir et font que, petit à petit, Naruto finit par être reconnu, respecté et admiré par les villageois (cf. la demande d’autographe), comme le résume bien Ebisu dans le tome 46 (pp. 74-76). Ce résumé oublie toutefois certains faits tout aussi importants (e.g. ceux que nous avons pu mentionner plus haut) dans la quête de reconnaissance de Naruto. Ce qu’il recherche lui arrive au fur et à mesure de ce qu’il accomplit. Il est reconnu sans avoir besoin d’imposer cette reconnaissance par la force. Ses exploits (et ses échecs) concourent à en faire un ninja de grande renommée, connu par-delà le village même s’il n’est pas encore Hokage.

Néanmoins, si la trajectoire de Naruto peut laisser penser que la reconnaissance s’acquiert selon un processus cumulatif et linéaire, d’autres personnages suggèrent que la relation est plus complexe. La reconnaissance n’a rien d’irréversible : des retours en arrière sont possibles (cf. avec Sasuke : il reconnaît la valeur de son « ami » mais… pas totalement, cf. chap. 487) ; la reconnaissance acquise peut se perdre quand bien même des titres seraient là pour la garantir (cf. le cas de Danzô qui voulait profiter du sommet pour asseoir son autorité…) ; certains n’obtiennent jamais la reconnaissance qu’ils cherchent (Deidara et son art incompris) voire n’en sont pas satisfaits et en cherchent davantage (Madara et Orochimaru qui ne sont pas élus Hokage).

En plus d’un intérêt pour la dynamique des interactions entre les individus, sur l’image d’eux-mêmes, la reconnaissance agit aussi sur leur capacité d’action. Ici vient en tête l’exemple d’Hinata. Reconnue par Naruto, elle fait montre de courage, persévère contre Neji et déclare même à Naruto qu’elle commence à s’aimer un peu. Elle s’entraîne, intervient contre Pain et se dit, plus tard, qu’elle ne veut plus être dans l’ombre (chapitre 573). On peut aussi penser à l’aîné du Sage qui décide de défier son frère car son père ne l’a pas reconnu comme héritier.

Remarquons enfin les limites. Non seulement la reconnaissance n’a rien d’automatique mais elle ne satisfait pas forcément les demandes exprimées. Reconnaître n’est pas toujours suffisant : c’est ainsi que Tsunade admet les erreurs commises par Konoha, sans que cela n’arrête Pain et que Sasuke exige qu’on lui rende son clan pour qu’il arrête.


***


S’intéresser à la reconnaissance permet de mettre au jour des formes d’injustice qui ne sont pas toujours d’ordre matériel. Si la reconnaissance exprimée par plusieurs personnages apparaît nécessaire, « vitale » c’est parce qu’elle est au fondement de la construction identitaire des individus ; elle constitue l’individu dans son rapport à lui-même et aux autres et agit sur sa capacité d’action. Le propos de Sarutobi, concernant Naruto, illustre alors plutôt bien nos développements :

 

« Le seul moyen qu’il a pour attirer l’attention sur lui c’est de faire des bêtises sans arrêt. Il a besoin de montrer aux autres qu’il existe, il a besoin de leur reconnaissance, peu importe la manière dont il l’obtient. Il n’en laisse rien paraître… mais au fond de lui il souffre énormément. »





Tout comme Mikazuki, je remercie Adrien ainsi que les différentes personnes qui ont permis à cette chronique de voir le jour. Je reste malgré tout seul responsable de ses insuffisances. Bonne lecture et commentaires, en espérant que cette nouvelle chronique vous plaira. D'ailleurs, si vous souhaitez échanger à son sujet autrement que sur l'espace commentaires, rendez-vous sur le forum.




* Ce problème trouvera une solution explicite dans le chapitre 552 lors d’un échange entre Itachi et Naruto : le premier déclare au second que ce n’est pas la relation Hokage => reconnaissance qui prévaut mais bien plutôt l’inverse.