Il l'emparouille te l'endosque contre terre ;
                     Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
                     Il le pratèle et le libuque et lui baruffle les ouillais ;
                     Il le tocarde et le marmine,
                     Le manage rape à ri et ripe à ra.

Le Salut.

1. En découvrant l’anime, on peut s’étonner de la variété des niveaux de langue dans le sous-titrage. Selon les traductions, Sasuke dira soit « Laissez-moi ! » et « Zut » soit « Va te faire foutre » et « Putain… ». Le sous-titreur semble avoir une grande liberté.  Cette impression vaut également pour les scantrads.

Pour les habitués des animes à la télévision qui prennent connaissance du travail souterrain des fans sur le Net, le contraste peut être bouleversant : tel héros qui se distinguait par la noblesse (un peu grandiloquente) de ses propos se révèle être, sur la toile, d’une grossièreté à faire rougir Roger Karoutchi.

2. Notre premier réflexe est, en général, de considérer la version la moins polie comme la plus authentique. On se souvient à cet égard du doublage français de Hokuto no Ken (Ken le Survivant) qui rivalisait d’inventivité verbale pour éviter toute forme de grossièreté. Philippe Ogouz, la voix de Ken, raconte que ce sont les doubleurs eux-mêmes qui, face à la vulgarité et la violence de l’original, exigèrent le droit de polir les dialogues. On leur accorda une telle marge de manœuvre que la version française de Hokuto no Ken est restée mémorable pour la créativité de ses expressions farfelues et de ses jeux de mots bouffons, tels que  « par le Hokuto à viande, je couperai vos gigots » ou encore « après t'avoir cassé les mains, je vais te casser les pieds ».

Une version authentique nous paraît, en temps normal, préférable. Nous sommes prompts à interpréter tout adoucissement de la langue comme un genre de censure. Dans le cas des traductions de Naruto cependant, peut-on vraiment dire que « merde » est une traduction plus authentique de kuso que « zut » ?

Authenticité ne signifie pas exactitude ; elle vaut davantage pour naturel. La supériorité de « merde » vient du fait que « zut » paraît affecté, pédant même. Nul adolescent ne dit « zut ». La grossièreté paraît plus réaliste, donc plus juste. Sous l’effort pour éviter le « merde », expression la plus naturelle, nous soupçonnons le travail de la norme, du code et de la discipline. C’est d’ailleurs sûrement ce sens du naturel (qui s'oppose aux conventions) qui, sourdement, motive nos préférences ; la question du réalisme du langage d’un adolescent ayant un renard à neuf queues dans le ventre nous préoccupe-t-elle vraiment ?

3. La grossièreté, le juron ou la vulgarité ont quelque chose de croustillant et de sucré. Nous en sommes gourmands. Cette partie de la langue est phonétiquement la plus expressive : ça grince, ça crache, ça expectore. Les insultes les plus réussies sont souvent les plus fortes en bouche. Certaines traductions de Naruto sont, de ce point de vue, de véritables festins.

Cette sensualité de la grossièreté a pu être opposée à la froideur de la langue officielle. Certains penseurs y ont même vu une promesse révolutionnaire. Le poème d’Henri Michaux cité en exergue, "Le Grand Combat", est politique. Ce qui est sûr, c’est que l’insulte ou le mot familier est un moyen de traverser la distance que le langage instaure entre les êtres, une manière de remettre en cause les conventions sociales dont la langue témoigne ; comme un corps à corps.

4. La politesse, le keigo, est une dimension essentielle du nihongo, la langue japonaise. Bien plus que le français (ou toute autre langue occidentale), le japonais rend compte des hiérarchies entre les personnes au point d’avoir trois modes linguistiques spécifiques pour la politesse -- teineigo, sonkeigo et kenjogo. Il semble ainsi improbable qu’il puisse y avoir une indécision à propos de la valeur familière ou non d’un manga comme Naruto.

Les grossièretés des scantrads et des sous-titres sont donc, pour la plupart, le résultat d’un choix stylistique. Les versions les plus grossières sont, en général, également les plus scrupuleuses du keigo (les « sama », « san », etc.) : cela peut paraître contradictoire et cela l’est certainement. Pourtant, je trouve une forme de solidarité entre l’obsession hiérarchique et la vulgarité la plus crue, entre les mots d’ordres et les gros mots. C’est le jargon de l’authenticité.

Le Vieux.

Le no sms.
 


Pour en discuter (commentaires, critiques, précisions, suggestions etc...) : Aller sur le forum.

Où l’on trouvera une interview amusante de Maurice Olgouz, la voix française de Ken.
=> Ici
Où l’on lira un édito intéressant du Monde.
=> là
Où l’on aura, sur wikisource, quelques réflexions contestables et amusantes du début du 20e siècle d’un occidental au Japon ; sur la politesse.
=> tout droit de ce côté-ci du Levant.
Où l’on lira en entier le poème de Michaux.
=> Bordisse